Rose n'en pouvait vraiment plus, de cette vie. Vivre dans la rue était décidément un Enfer. Depuis qu'elle avait passé le portail interdimensionnel, elle n'avait eu aucun logement. Il y avait des périodes avec et des périodes sans. Même si, pour tout dire, les périodes sans apparaissaient le plus souvent. Elle avait failli avoir une Hideko, mais celle-ci était partie après avoir profité d'elle. Et depuis, elle était condamnée à nouveau à cette vie d'errance. Et autant dire qu'elle se nourrirait bien de quelque chose de plus consistant que des restes laissés par une famille de femmes s'estimant trop riches pour tout finir. Ce soir-là, après une journée où elle n'avait mangé que de maigres petites choses, elle s'était rendue au parc et s'était arrangée pour y rester après la fermeture. Après tout, la nuit n'allait visiblement pas être trop fraîche, et il n'était pas censé pleuvoir. Somme toute, c'était une nuit parfaite et calme, qu'elle pourrait passer au parc. Voilà qui la changerait des cartons humides et des femmes sans abris inhospitalières, tiens. Elle prit donc le temps, une fois la nuit tombée, de s'allonger sur un banc. Cependant, n'arrivant pas à dormir, elle passa une bonne partie de la nuit à scruter le ciel, à admirer les étoiles, à contempler la Lune – qui était d'ailleurs pleine cette nuit-là –. Tout en regardant ainsi le ciel nocturne, elle réfléchissait à son avenir. Néanmoins, c'était une chose assez difficile à penser pour quelqu'un qui, comme elle, ne savait pas de quoi le lendemain serait composé. Elle n'avait absolument aucune idée de ce qu'elle ferait. Et à moins qu'une aubaine lui tombe sur le coin de la figure, hein... Surtout sachant qu'il y avait sans doute une seule chance sur des milliers que cela arrive... Enfin bon, mieux valait qu'elle ne se projette pas trop et qu'elle vive au jour le jour. De toute manière, elle n'avait pas vraiment le choix.
Elle fut sortie de ses réflexions par un petit bruit, qu'elle n'aurait pas entendu si la nuit n'avait pas été aussi silencieuse : Un léger craquellement. Elle fronça les sourcils et se redressa doucement, regardant partout autour d'elle. C'est en tournant la tête qu'elle se rendit compte que quelqu'un était accroupi devant le lac, et que celui-ci semblait... Avoir été gelé. Elle se crispa un peu : Rêvait-elle? Ou cette femme était-elle réellement une Hideko? Cela était-il une fabulation de son esprit? Allez savoir. Elle secoua la tête et se frotta les yeux. Non, en effet, elle ne rêvait pas.
Elle se releva donc doucement, et s'approcha en silence. Elle faisait même en sorte de ne pas respirer trop fort pour ne pas se faire entendre. Mais malheureusement, trop absorbée par la fascination que lui portait cette femme accroupie, elle ne fit plus très attention, et une branche craqua sous son pied. Elle se tendit, surtout en voyant toute la glace disparaître. Elle s'observa un bref instant : Ses vêtements étaient encore propres même si elle les portait depuis des jours – il fallait qu'elle se remercie de profiter subrepticement des douches de la piscine couverte –, ses cheveux n'étaient pas gras, son corps n'était pas sale... Mais elle s'était un peu amaigrie, ces derniers temps. Au prime abord, on ne pouvait pas deviner qu'elle était à la rue. Ce faisant, prudemment, elle s'approcha de la jeune femme, et s'assit près d'elle. Elle s'était mise en tailleur à ses côtés, tournée face à elle. Elle scruta son visage dans l'obscurité, n'osant briser le silence. Elle se frotta encore une fois les yeux, histoire de s'assurer qu'elle ne rêvait pas. Or, cela s'avéra être la vérité. Il n'y avait pas de doute possible : Elle n'était guère sujette à un quelconque rêve, ou songe qu'aurait formulé son esprit. Elle alla même jusqu'à se pincer pour en avoir le coeur net.
Pour autant, elle n'identifia pas cette femme. Il fallait dire qu'elle n'avait jamais vu une des souveraines d'Amaterasu. Mais en tout cas au vu de sa tenue, elle supposa qu'il s'agissait d'une femme de la haute société. Elle n'allait cependant pas jusqu'à imaginer qu'il était question là d'un membre de la famille royale, non. Ce serait trop beau, et trop irréel pour la petite sans domicile fixe qu'elle était depuis son arrivée en ce monde. Elle laissa ses yeux parcourir le visage de la jeune femme, essayant d'en reconnaître les traits malgré l'obscurité. Bon, sur ce point-là, la Lune l'aidait assez, lui fournissant de ce fait une luminosité inespérée. Cependant, quelque chose la dérangeait un peu : Elle n'arrivait pas à distinguer la couleur des yeux de cette étrange demoiselle. Pour elle qui avait l'habitude de regarder les yeux des gens, c'était plutôt perturbant. Enfin. Elle s'efforça d'en faire fi, tentant de retracer les courbes du visage de cette femme. Le silence conférait à leur rencontre un aspect magique qu'elle n'avait pas imaginé. Et cet effet était d'ailleurs renforcé par la clarté lunaire, assortie à l'obscurité du lac qu'il y avait près d'elles. En tout cas, elle n'avait pas envie de briser l'instant en prenant la parole. Pas tout de suite, du moins. Elle voulait profiter encore un peu de cet aspect irréel et éphémère.